lundi 10 décembre 2012

Le guerrios apprivoisé du Guatemala





Très indécis, c’est ainsi que je suis rentré au Guatemala après une quinzaine de jours passés au Belize. Les premiers jours, je dois dire que j’étais plutôt apeuré, surtout quand je pédalais seul sur la route au milieu d’une jungle verte qui me semblait infinie. A chaque fois que je voyais une personne au loin, je m’imaginais un guerrerios muni de hautes bottes, armé d’un fusil que l’on tient à deux mains et décoré de colliers de balles qui m’attendait patiemment pour me dépouiller, voire m’utiliser comme rançon.
Mais, à l’évidence, les guerrerios ne veulent pas de moi. Céline dit de moi, et peut-être je l’espère avec un brin de jalousie : « De tes ravisseurs, tu serais encore capable de t’en faire tes nouveaux copains ». Alors, peut-être qu’ils le voient, le sentent… et puis l’odeur de ma sueur doit peut-être dégager des embruns de chocolat suisse… qui sait ? Ont-ils un odorat spécial, eux, les guerrerios du cacao pour détecter que nous sommes de la même famille ?
Après avoir visité deux jours les plus belles ruines d’Amérique centrale (selon les habitants) dans un parc national bien protégé, et avoir pédalé deux jours dans une partie de la jungle au nord du Guatemala, me voilà aujourd’hui un peu rassuré (mais pas complètement serein non plus). Je me sens presque autochtone avec ma peau mate qui aime se dorer au soleil et mon espagnol plus que parfait.
Aujourd’hui, j’apprends à entrer un peu plus en contact avec ces gens qui me regardent parfois avec étonnement et interrogation... et que je regarde également ainsi. Et puis, un mot, un sourire, une grimace, un objet partagé suffit parfois pour briser le silence et entrer en communication…  même si le bidon-ville dans lequel je me suis fourré me semble être hostile.
Les hommes et les femmes autour de moi, peut être les plus riches, ont les dents soignées, et de quelle manière puisque entourées d’or. Pourtant, comme dirait mon grand-père, il y a plutôt de l’or dur autour d’eux : des habitations délabrées, des détritus jonchent le sol, la saleté est monnaie courante, l’hygiène très relative, etc. Et, les Etats-Unis que j’aime aujourd’hui, ont bien réussi à implanter leur saloperie jusqu’ici : coca-cola et compagnie fait ravage.
Dans un bus que je prends, on m’offre gracieusement la meilleure place, celle du mort. Je suis gêné mais accepte et me rend compte que la fenêtre ne s’ouvre pas. Quel cadeau par une température pareille. Mais je ne suis pas seul à suer. Le bus est bondé d’autochtones à l’arrière, les plus chanceux assis. Devant, nous sommes cinq : le conducteur qui conduit, klaxonne, crie le nom de notre destination, répond au téléphone toutes les deux minutes et change le volume de la radio selon son utilisation téléphonique, deux femmes vêtues d‘habits typiques dont une d’entre-elles nourrit son nouveau-né d’un cocktail de lait de nichon mélangé au coca-cola, le nouveau-né qui est une fillette habillée d’une robe blanche de mariée et finalement moi. L’enfant touche ma peau blanche et teste mes réactions. Elle pleure de temps à autres pour recevoir son lait maternel et sa drogue, sa coke. Nous jouons entre ces moments. Lors d’une halte, j’achète et offre des bananes séchées à ceux que je colle et qui me collent… la mère, la fillette et les enfants derrière moi. Je me ventile et offre de l’air à la petite qui sue. Et, pour passer le temps et pour entrer en contact, j’offre des images et vidéos de mon voyage. Rien de matériel mais on semble partager quelque chose : du temps et des représentations.
Et alors que la pauvreté est présente, un geste magnifique me touche : la mère guatémaltèque qui tient son enfant dans les bras m’offre à deux reprises des bananes séchées, signe de reconnaissance et d’amitié partagée. Nous continuons notre route avec respect et distance. Nous échangeons encore ici et là quelques conversations, quelques mimiques et cela,  également avec les enfants derrière moi. Mais  quelque chose à changer en moi… et peut être en eux aussi. Arrivé à destination pour moi, je leur serre la main, leur dit adieu en vitesse, récupère mon vélo et mes bagages en contrôlant le tout et en reprenant mes habitudes de guerrerios de la route. Je dois être fort, ne pas montrer mes peurs et tracer mon chemin.
Et puis, vient le moment de repenser au guerrerios muni de hautes bottes, armé d’un fusil que l’on tient à deux mains et décoré de colliers de balles… je me questionne alors sur mes propres représentations de ce pays et de ces gens, de mes peurs et des leurs, de leur histoire et de la mienne.

« On ne connait que les choses qu’on apprivoise. Les hommes n’ont plus le temps de rien connaitre. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n’existe point de marchands d’amis, les hommes n’ont plus d’amis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi. » Saint-Exupéry

Flo, le guerrerios apprivoisé du Guatemala